Pour en finir une bonne fois pour toute avec l’histoire
L’histoire se répète, se poursuit, la profession d’infirmière ne semble pas se soustraire à cette vérité.
Le métier de soignant est l’un des trois « métiers impossibles » (selon M. FAIN, 1986) dont parle FREUD : les deux autres étant : éduquer et gouverner.
Depuis plusieurs années, les médias abordent le malaise dans les hôpitaux, les interviews de professionnels de santé montrent la charge de travail morale et physique qui pèse sur les infirmiers. Le rythme de travail s’intensifie, la parcellisation des tâches s’est peu à peu instaurée, manque d’effectifs, de moyens. L’une des conséquences de cette situation a été une perte progressive du sentiment d’utilité des actions entreprises par les soignants, voire une perte du sens de leurs missions. Le phénomène s’aggrave d’année en année créant un climat de tension et d’insatisfaction, il est augmenté par des pratiques et des représentations sociales qui « sont en effet en pleine évolution et se modifient progressivement et qui devraient affecter leurs représentations. » JC. ABRIC (2003, p83, 84) Les soignants sont pourtant les mieux à même de mener une réflexion autour de la conception du soin de par leur proximité des patients, ce sont eux les témoins privilégiés, ceux qui engrangent de par leurs multiples expériences des savoirs ou compétences, si riches d’enseignements mais si difficiles à partager. La formation des infirmiers se fait, en partie, par leurs pairs. La circulaire du 9 décembre 1992 préconise la mise en place du tutorat pour favoriser l’appropriation du métier d’infirmier. Les enjeux sont importants, nous préparons les soignants de demain. Devenir un soignant reconnu, apprécié voilà deux objectifs importants, mais sont-ils atteints ?
Pour essayer de comprendre pourquoi les infirmiers tardent à prendre en charge l’avenir de leur profession, il nous est apparu intéressant de retracer l’histoire de la femme dans notre société et l’histoire de la femme soignante.
L’histoire de la profession des soignants
La profession de soignant est à l’origine un métier de femme, depuis que l’homme existe la femme soignante joue son rôle pour permettre la pérennité de l’espèce. La femme soignante donne des soins qui se tissent autour de la vie, soins aux accouchées, aux enfants mais aussi aux malades et aux mourants. Les soins au corps blessés à la guerre sont donnés par les hommes, en effet, les femmes ne « font pas la guerre » ! L’origine de la profession est double, sage-femme mais aussi guérisseuse. Sage-femme car elle aide les accouchées. Guérisseuse car elle vit proche de la nature, observe les modifications, par tâtonnement au début puis par déduction ensuite elle crée des remèdes, des potions qui soulagent et guérissent. La transmission du savoir n’était qu’orale, elle ne savait souvent ni lire ni écrire. Mais grâce à son observation et sa recherche, elle accumule un grand savoir qui lui confère un pouvoir considérable de vie et de mort sur les êtres humains. L’Eglise perçoit ce pouvoir comme une menace, la chasse est lancée contre ces guérisseuses qui seront alors appelées des sorcières. S’installe alors une nouvelle conception du soin qui dénie inter-relation corps et esprit. Le corps doit connaître la souffrance et la douleur pour expier des fautes. Les religieuses prennent en charge les malades, sans connaissances, elles appliquent les consignes des médecins eux même accompagnés par des prêtres. Au 19ème siècle, ces religieuses dévouées ne coûtent rien car elles sont au service de Dieu. Aujourd’hui encore les soins infirmiers naviguent entre la valeur d’usage et le don, ce qui entrave la reconnaissance sociale et économique du service infirmier. Le terme infirmière est utilisé pour la première fois au 19ème siècle pour le personnel de l’Assistance Publique de Paris reléguant le terme de garde- malade. Le Dr Bourneville demande un texte législatif.
Jusqu’au 20ème siècle les soins contribuent à maintenir et à entretenir la vie, l’infirmière est aidante, elle devient une auxiliaire médicale car les médecins ont besoin d’aide face aux découvertes du début du siècle. L’infirmière doit apprendre à servir le médecin. Le décret du 22 juin 1922 crée le brevet de capacité professionnelle permettant de porter le titre d’infirmière diplômée de l’état français, c’est le début de la professionnalisation mais ce brevet n’est pas obligatoire. MF. COLLIERE (1982) explique que plus le geste, les techniques se spécialisent, plus les médecins en profitent pour déléguer ou délaisser aux infirmières des actes que l’évolution rend de plus en plus accessoires, ou de moins en moins nobles comme la prise de la température, la pose de cataplasme… En 1946, la loi rend obligatoire l’obtention du diplôme d’état pour exercer la profession d’infirmière, en 1949, et apparaît alors le terme aide-soignant ce sont d’anciennes infirmières non diplômées. L’homme soignant est présent lui aussi, surtout en psychiatrie qui ne sait ouvert aux infirmières qu’avec l’arrivée des neuroleptiques. De nombreux programmes de formation se succèdent permettant aux infirmières de développer leurs connaissances, une compréhension et une surveillance des soins. On ne parle pas encore de soins infirmiers, mais de soins donnés par des infirmiers qui ont alors un rôle purement d’exécutants : soumission et obéissance aux médecins sont absolument requis pour exercer ce métier. Il semble y avoir dès lors une coalition d’intérêts entre le pouvoir médical et les revendications d’autonomie d’une profession en quête d’identité. Le premier texte qui mentionne le terme de Soins Infirmiers est une circulaire du 31 juillet 1975, on y trouve la définition des soins infirmiers, de la fonction, de l’encadrement des professionnels. Ce texte n’est pas apparu au Journal Officiel ni au Bulletin Officiel. En 1978 le nouveau programme prévoit trois ans de formation, et la reconnaissance d’un rôle propre, mais aucune équivalence universitaire, ce qui est demandé, aujourd’hui encore, par les infirmiers. En 1992, nouveau programme avec un diplôme d’infirmier unique. Pourquoi le diplôme d’état d’infirmier qui leur permet d’exercer leur profession ne pourrait-il pas être reconnu comme bac +3 ? Différence de qualification. Différence de reconnaissance. Différence de salaire. Enfin 2006, un espoir de reconnaissance ! En effet, d’une part la création d’un Ordre Infirmier qui aura la responsabilité d’élaborer un code déontologique, de défendre les intérêts de la profession et sera l’interlocuteur des pouvoirs publics et d’autre part, une réflexion avec les différents partenaires sociaux et professionnels sur une licence en soins infirmier. Une formation universitaire conforterait les assises de la carrière professionnelle, développerait le champ de compétences professionnelles ainsi que sa valorisation sociale et économique.
Le statut des infirmiers reste ambigu, avec d’une part un rôle propre spécifique, réglementé par les textes et dans les discours infirmiers, et d’autre part une autonomie professionnelle très peu marquée dans la pratique.
La place de la femme dans la société française
Le métier d’infirmière est principalement exercé par des femmes, nous ferons un petit détour par l’histoire de notre société. Avant la loi Le Chapelier en 1791, qui a interdit toute corporation, la formation se traduisait par le compagnonnage, les ouvriers recevaient une formation professionnelle mais pas ou peu d’enseignement général, quand il existait, il se devait de prôner la soumission à la bourgeoisie. Suite à la Loi Le Chapelier, au début de l’industrialisation et au développement des manufactures, le travail se libéralise et la formation professionnelle disparaît. C’est au 18ème siècle que l’idée d’éduquer le peuple pour une plus grande équité, et pour défendre des valeurs démocratiques, prend corps. En grand défenseur, Condorcet proposa devant l’assemblée législative en 1792 un projet d’organisation de l’enseignement. Ce dernier devait assurer le bonheur et l’épanouissement de chaque individu et devait s’inscrire dans une dimension de valeurs humaines. Pour que les hommes soient politiquement égaux ils devaient être éduqués. C’est pour ces raisons que l’éducation devait être prise en charge par l’Etat. Elle devait être gratuite, laïque et non obligatoire pour respecter la liberté démocratique. Pour diverses raisons le texte n’a pas pu être adopté. Les premières lois concernant l’école élémentaire apparaissent donc en 1794. Il n’y a pas d’obligation, des souhaits sont formulés mais l’organisation ne suit pas. En 1833, les lois Guizot et Falloux obligent les communes à ouvrir des écoles primaires, accessibles aux garçons mais aussi aux filles. L’accès à l’éducation et à la formation va donc commencer à se développer. Cette volonté d’égalité des chances sera encouragée par les philosophes et les mouvements syndicaux ouvriers. Privée de droits, la femme doit rester à la maison et se préparer dès l’enfance aux tâches domestiques. C’est au sein du foyer qu’elle a un rôle à tenir, en premier lieu celui de servir son mari, d’être une épouse et une mère modèle. La majorité des conseils adressés par les pédagogues de cette époque aux jeunes filles est de rester soumises à leur mari. Pour éviter paganisme, hérésies et sorcellerie, les jeunes filles reçoivent un rudiment d’éducation dispensée par l’Eglise. Avec les changements économiques et techniques liés à la première révolution industrielle, les femmes sortent de la maison et intègrent timidement puis de manière plus affirmée le monde du travail. En France, en 1866, 1.269.700 femmes travaillent dans l’industrie, essentiellement dans les entreprises textiles et alimentaires. Au 20ème siècle, la première guerre mondiale et, dans une moindre mesure, la seconde jouent un rôle important dans cette promotion. A la fin de l’année 1917, les françaises représentent 40% du personnel de l’industrie et du commerce. Mais l’inégalité professionnelle et salariale reste la norme, les femmes perçoivent en moyenne une rémunération deux fois inférieure à celle des hommes on parle de salaire de « complément ». En 1924, l’uniformisation de l’enseignement secondaire des filles et des garçons en matière de contenu, de durée, d’horaires et de diplômes marque une étape importante sur le chemin de la mixité. Cependant, l’enseignement mixte n’est introduit que tardivement dans le système scolaire français. Adoptée surtout pour des soucis d’organisation et de rentabilité, la mixité est décrétée en 1957 (circulaire du 3 juillet 1957 sur le fonctionnement des premiers établissements mixtes). Mais les inégalités persistes, en effet, une convention interministérielle a ainsi été signée le 25 février 2000 entre notamment, le ministère de l’éducation nationale, le ministère de l’emploi et de la solidarité et le secrétariat d’état aux droits des femmes et la formation professionnelle, destinée à « promouvoir l’égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, dans le système éducatif », cette convention fixe trois objectifs : améliorer l’orientation scolaire et professionnelle des filles et des garçons, promouvoir une éducation fondée sur le respect mutuel des deux sexes ; renforcer les outils de promotion de l’égalité et la formation des acteurs. C’est dans ce contexte de représentation de la femme que des étudiants se proposent de devenir infirmier et que l’infirmier essaie d’évoluer. Rappelons, en effet, que la formation infirmière compte 87,7% de femmes. L’émergence de la profession d’infirmière donne à voir toutes les ambiguïtés. Soigner était une tâche domestique.
Un espoir
En effet, en 1978, un nouveau programme de formation est proposé avec un temps de formation de trois années. L’objectif principal énoncé, était l’uniformisation des diplômes à l’Europe.
Mais la profession ne se voit pas accorder l’équivalence tant souhaitée. Les infirmiers qui veulent poursuivre des études universitaires sont contraints de demander une équivalence pour les débuter au niveau licence.
La non reconnaissance des diplômes du Ministère de la Santé par le Ministère de l’Education Nationale cantonne les infirmiers dans leur profession sans grande possibilité d’évolution. L’évolution de la médecine développe de nouvelles exigences qui se traduisent par des qualifications, des spécialisations sous forme de diplômes universitaires en soins palliatifs, en hygiène…, mais sans reconnaissance statutaire et salariale.
Dans de nombreux pays, la formation est depuis très longtemps universitaire. Les soins sont dispensés par des professionnels qui ont pris en charge l’avenir de leur profession. Un espoir est naît en 2005, avec les accords de Bologne. En effet, les différents pays d’Europe se proposent d’uniformiser les diplômes. L’organisation proposée est Licence, Master et Doctorat. Cette reconnaissance ouvre, enfin, des portes, d’une part au niveau universitaire, avec la possibilité de poursuivre un cursus universitaire, d’accéder à une recherche en soins infirmiers, mais aussi une reconnaissance statutaire de leur diplôme.
La reconnaissance professionnelle n’est toujours pas acquise, pas plus qu’une augmentation des effectifs ni même une amélioration des conditions de travail. Le manque de reconnaissance se manifeste tant au niveau du cursus universitaire que sur leur rémunération.
La représentation du métier
L’histoire, la condition de la femme dans notre société sont certainement les facteurs clés de la difficulté qu’éprouvent les soignants à construire leur identité professionnelle.
La représentation de leur métier est toujours négative, les conditions de travail se dégradent. Les soignants essaient de préserver une qualité des soins et ils culpabilisent de ne pouvoir faire mieux, cela perturbe même leur vie personnelle. Les soignants acceptent !
Les étudiants découvrent parfois en formation ces contraintes. Dans une enquête de la DREES sur les étudiants en soins infirmiers, on peut lire que 20% abandonnent au cours des trois premières années, les études du Ministère de la Santé précisent qu’un infirmier travaillera 8 ans avant de changer d’orientation. De plus, une modification des caractéristiques socioculturelles de la population infirmière, en effet, le recrutement ne se fait plus chez les religieuses ou les jeunes filles de bonnes familles. Le monde de la santé se dote de qualificatif de la grande distribution : qualité, produit, client, coût. Ces différents éléments accentuent le malaise. Les écarts entre aspiration collective des définitions officielles et une pratique soignante effective nous conduit à nous interroger sur l’image qu’ont les infirmiers de leur profession. En effet, les pratiques d’un groupe social répondent à la représentation qu’ont ceux-ci de leur profession, si l’image n’est plus en adéquation cela produira à terme une modification de la représentation. Nous pouvons remarquer que les infirmiers sont toujours imprégnés de l’histoire de la profession de soignant, le manque de reconnaissance est évident, il se concrétise par un diplôme de « branche », ne leur permettant pas l’accès à une filière universitaire, mais aussi par un salaire qui reste en dessous d’une grille de salaire bac +3, et qui n’est pas représentatif des responsabilités. La mise en place d’un ordre infirmier permettra de rétablir progressivement ce décalage. En effet, les pays qui ont opté pour un ordre infirmier ont vu cette profession se structurer, se développer et s’affirmer. Nous devons participer à l’évolution de notre métier, de grands projets sont en cours d’élaboration, le nouveau référentiel de formation mais aussi et surtout les nouvelles orientations du métier. Quelles évolutions, mais aussi quelles sont les valeurs auxquelles nous tenons et que nous voulons voir perdurer mais aussi respecter dans une société de plus en plus contrainte par des objectifs financiers. Comme nous avons pu le lire dans notre exposé, le soignant a toujours subi les contraintes imposées par notre société, enfin aujourd’hui il va pouvoir s’affirmer, s’émanciper, orienter et enfin décider pour sa profession. Il est impératif d’être présent lors de ce rendez-vous du 24 avril 2007, et qu’enfin les infirmiers puissent fixer les orientations du métier d’infirmier de demain. Laurette MIRA, Coordination Nationale Infirmière CNI Cavaillon (84)
Formatrice à l’IFAS de Cavaillon
Bibliographie :
• ABRIC JC., (2003), Pratiques sociales et représentations, Paris, PUF • COLLIERE MF., (1996), Promouvoir la vie, Paris, Inter édition • ESTRYN-BEHAR M., (2004), Santé, satisfaction au travail et abandon du métier de soignant, Etude PRESST-NEXT, avec le soutien de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris • JOUET LE PORS M., (2006), évolution des représentations sociales de la profession chez les étudiants infirmiers, cadredesante.com
• MARQUIER R., (2005), Les débuts de carrière des infirmiers sortis de formation initiale en 1998, DRESS, Ministère de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale.
Article paru dans le n° 26 (janvier 2008) de la revue de la Coordination Nationale Infirmière (CNI)
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